Association Amitié Haïti-République populaire de Chine

Vive l’Amitié Chine populaire/Haïti

Accueil > Actualités > Disparition de Gérald Bloncourt, photographe au regard engagé

Disparition de Gérald Bloncourt, photographe au regard engagé

dimanche 4 novembre 2018, par admin

Disparition de Gérald Bloncourt, photographe au regard engagé
Par Chantal Guerrier Publié le 02/11/2018 à 12:48

L’ancien grand reporter et artiste aux multiples facettes est mort le 29 octobre, à l’âge de 91 ans. Il laisse une œuvre impressionnante : des photos, bien sûr, mais aussi des romans, des recueils de poésie, des tableaux.

Dans quelques jours, le 4 novembre, Gérald Bloncourt devait fêter son anniversaire. Il avait promis de tenir jusque-là. Mais depuis quelque temps, il postait des messages sur sa page Facebook qui ne laissaient plus beaucoup la place au doute. « Encore quelques jours… », écrivait-il ainsi, histoire d’habituer ses proches, ses amis et ses admirateurs. Lui qui maniait l’humour aussi bien que l’obturateur. Voilà un an, il avait effectué, avec sa famille, un voyage en forme de pèlerinage sur sa terre natale, Jacmel, en Haïti, mais aussi Port-au-Prince, la capitale, où de vibrants hommages lui ont été rendus par la jeune génération avec laquelle il se sentait tellement à l’aise.

Gérald Bloncourt est né le 4 novembre 1926, à Baînet, commune de Jacmel, dans le Sud-Est d’Haïti. Dès son plus jeune âge, il est révolté par l’injustice, lui qui venait d’une famille aisée. Il aime raconter une scène qui a forgé son « âme révolutionnaire ». Enfant, il voit un homme tabassé à mort par les policiers parce qu’il allait pieds nus. Le père de Gérald est guadeloupéen négociant en café, et sa mère française institutrice pour les enfants de la bourgeoisie. Ils s’installent à Jacmel en 1927, alors sous l’occupation américaine. Jeune lycéen, à Port-au-Prince, Gérald Bloncourt se range aux côtés des ouvriers et des paysans qui résistent contre les Marines.

Artiste, il rencontre d’un peintre américain Dewitt Peters, et les deux hommes créent le Centre d’art haïtien à Port-au-Prince. C’est un creuset d’où explosent de nombreux talents et qui attire des personnalités artistiques et intellectuels notamment Aimé Césaire, Pierre Mabille (attaché culturel de la France libre), André Breton et le peintre cubain Wifredo Lam. La série de conférences prononcées par l’écrivain surréaliste André Breton galvanise Gérald Bloncourt et ses camarades parmi lesquels Jacques-Stephen Alexis et René Depestre. Ensemble, ils créent la revue La Ruche pour publier leurs créations.

En 1946, le petit groupe prend la tête d’un soulèvement étudiant. Ce seront « les Cinq Glorieuses » qui aboutiront à la chute du président Elie Lescot, le 11 janvier 1946. Arrêté, puis relâché, Gérald Bloncourt part pour l’exil à bord d’un paquebot qui le conduira en Guadeloupe puis en France où il rejoint la famille de sa mère. À Paris, ensuite, il est accueilli par des militants communistes et des poètes. Il apprend la photographie et travaille comme reporter-photographe pour le journal L’Humanité, où il est devenu chef du service photo. Dans les années 1950, son « regard engagé » immortalise les clichés des ouvriers de Renault à Boulogne-Billancourt, des immigrés portugais dans les bidonvilles de Joinville-le-Pont. Il est aux côtés des ouvriers du chantier de construction de la tour Montparnasse.

Il parcourt aussi l’Europe pour couvrir comme grand reporter les événements populaires qui explosent un peu partout comme la Révolution des œillets au Portugal. Il voyage dans les pays de l’Est, en URSS, en Chine, où il rencontre Mao Tsé-toung.

Gérald Bloncourt est aussi le photographe des artistes. Sa pellicule argentique noir et blanc a sublimé nombre d’entre eux, Yves Montand, Georges Moustaki, Charles Aznavour, pour ne citer que ceux-là. Il est de la même trempe que ses contemporains Robert Doisneau et Willy Ronis. Pour Bloncourt, « la photographie est un moyen de dire l’Homme, dans sa plus grande vérité ». Lorsqu’apparaît le numérique, cet adepte de la modernité s’y met à fond. Il numérise l’ensemble de ses négatifs sur son Mac. Ce travail phénoménal qui lui prend plusieurs années, il ne le délaisse à personne. Son fonds photographique est impressionnant. Pas moins de 200.000 clichés. Il se saisit aussi du procédé de digigraphie pour imprimer ses peintures et dessins en grand format. Il est régulièrement sollicité dans des conférences pour parler d’Haïti, de la photo, de la peinture. Jamais il ne dit « non ».

Parallèlement à son travail de photographe, ce créateur aux multiples facettes embrasse le roman, la poésie, la peinture, avec autant de talent. Il publie La peinture haïtienne, une bible incontournable, en 1986. Mais aussi des romans, Yeto le palmier des neiges, et des essais, Le regard engagé, parcours d’un franc-tireur de l’image de 2004, pour ne citer que ceux-là. Mais il reste un personnage sensible, très abordable. Sa demeure parisienne est un havre accueillant pour les visiteurs désireux de l’écouter parler politique. Une de ses grandes passions. Gérald Bloncourt a été plusieurs fois récompensé pour l’ensemble de son œuvre. En 2011, il est fait Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en France et en 2015, il accède à la Légion d’honneur.

Le plus ancien exilé haïtien a attendu la chute de Jean-Claude Duvalier, le 7 février 1986, pour pouvoir remettre les pieds en Haïti, quarante ans après en être parti. Depuis, il n’a eu de cesse de vouloir traduire l’ex-dictateur devant la justice pour les innombrables crimes commis sur les opposants du régime hérité de son père François pendant les 29 ans qu’a duré leur règne sanguinaire. Il a été à l’initiative d’un « comité pour juger Duvalier », lorsque ce dernier est accueilli en France, alors que dans le même temps, les personnes persécutées par le régime du dictateur sont refoulées par l’administration migratoire française. Gérald Bloncourt a même recouru à une longue grève de la faim. Ses proches ont eu très peur car il a frôlé la mort. Ce combattant inlassable n’a eu de cesse d’obtenir que le dictateur soit jugé et qu’il rembourse à Haïti la fortune spoliée par sa famille. Le tyran est mort en 2011. Sans avoir été jugé. Une bataille perdue pour Gérald.

Dans la nuit du 28 au 29 octobre, Bloncourt a perdu son combat contre la maladie, qu’il a mené avec un courage exemplaire. Les obsèques auront lieu un jour après son anniversaire, le 5 novembre au cimetière parisien du Père-Lachaise.

http://www.lefigaro.fr/culture/2018/11/02/03004-20181102ARTFIG00128-disparition-de-gerald-bloncourt-photographe-au-regard-engage.php